John Tolan, Mahomet l’Européen. Histoire des représentations du Prophète
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Ce livre est intéressant à lire, j’ai assisté à sa présentation par l’auteur John Tolan. Ce que j’ai retenu, c’est que les mots « Islam » et « Musulman » n'existaient pas en Occident médiéval. En français, ces mots sont mentionnés pour la première fois à partir du 16ème siècle, avant les termes utilisés étaient les « Sarrasins» et les « mahométans », d’ailleurs « Mahomet » a une signification péjorative. Si la traduction du Coran est arrivée en France dès le XVlle siècle, il a fallu attendre le milieu du XlXe siècle pour disposer, avec la version de Kazimirski, d’un texte en langue française relativement fiable.
Selon l’auteur : « Je distingue les deux graphies : celle de Mohammed, que j’utilise pour parler du prophète comme personnage historique de la tradition musulmane, et celle de Mahomet, graphie traditionnelle française, pour parler plutôt de l’image qu’on retrouve de ce personnage dans la culture européenne. »
Voici un résumé du livre :
« Dans les lignes qui suivent, on donnera un aperçu du plan, essentiellement chronologique, quoique l’auteur prenne à tout moment soin de dessiner une perspective, par des retours en arrière ou des avancées dans le temps qui ne perdent nullement son lecteur. Le premier chapitre étudie les représentations de Mahomet en idole, objet supposé de dévotions qui ne sont pas sans rapport avec les rites païens ou même le culte des saints chez les chrétiens : dominantes dans les chroniques des croisades ou la chanson de geste, ces représentations perdurent jusque dans les fiestas valenciennes du XXe siècle. Le chapitre II envisage Mahomet en charlatan et hérésiarque, dont Pedro Alfonso, Pierre le Vénérable, Riccoldo da Monte Croce se mettent à réfuter et traduire — entendre traduire pour réfuter — le Coran. Le chapitre III intéressera tout particulièrement les lecteurs des présents Mélanges puisque, de Pedro Pascual aux morisques en passant par Juan de Segovia et Juan Andrés, il dirige notre regard vers ce lieu privilégié de contact avec l’islam qu’est l’Espagne : dans la Péninsule se forme en particulier l’image d’un faux prophète, révolté contre le pouvoir légitime. Mais nous voici arrivés au XVIe siècle. Le chapitre IV montre comment, avec la survenue de la Réforme et l’avancée des Turcs, on pense les ressemblances et les différences entre islam et catholicisme, islam et protestantisme. Ce jeu des analogies n’est pas sans fécondité, quand il débouche sur la première impression du Coran, par l’humaniste suisse Bibliander. Il n’est pas non plus sans périls quand un Michel Servet, par exemple, le retourne contre le christianisme trinitaire. Mais la religion musulmane reste instrumentalisée à des fins de débat interne, comme en témoigne encore le chapitre V, qui nous conduit en Angleterre : Mahomet devient alors un révolutionnaire républicain, repoussoir pour les uns mais non pas pour les autres. Avec Stubbe ou Toland, qui attaquent les élites cléricales et mettent en avant sa politique de tolérance religieuse, se manifeste clairement une image positive du prophète, qui ne faisait qu’affleurer jusqu’ici. Même phénomène dans la France des Lumières, où s’arrête le chapitre VI (sans passer par l’étape de Pierre Bayle, ce qui aura peut-être été notre unique surprise) : l’imposteur décrié par ceux-ci est pour ceux-là réformateur avisé des abus religieux, et l’exemple de Voltaire atteste que l’on peut se faire de Mahomet deux images différentes à mesure que le temps avance. Napoléon et Goethe, Lamartine et Carlyle, en compagnie desquels nous cheminons dans le chapitre VII, admirent l’homme d’État ou le génie mystique, à la fois prophète et poète. Mais en louant sa spiritualité, les romantiques dénoncent le matérialisme qui gangrène leurs contemporains : au fond, n’est-ce pas encore soi-même que l’on regarde alors dans le miroir de Mahomet ? Le chapitre VIII ne suggère pas autre chose. Il porte sur la façon dont les orientalistes juifs du XIXe siècle, à l’image et à la suite d’Abraham Geiger, se sont figurés le prophète de l’islam : on ne s’étonnera pas que leurs tendances réformistes les poussent à remarquer, voire apprécier en lui un grand réformateur du judaïsme. Dans le chapitre IX sont enfin considérées des démarches assez proches, émanant cette fois de penseurs chrétiens du XXe siècle tels que Louis Massignon, Hans Küng ou Montgomery Watt, tentant l’entreprise œcuménique et délicate de penser un Mahomet qui soit vraiment prophète sans contredire leur propre foi. »(1)
(1) https://journals.openedition.org/mcv/11929
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